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30 août 2014 6 30 /08 /août /2014 18:50
L'Art de se mentir à soi-même et aux autres - Suite

Dans la continuité de la 1ère partie, où ont été passés en revue les différents stratagèmes que nous utilisons pour mieux vivre ou mieux nous adapter à notre quotidien, voici quelques auto-tromperies moins salutaires et pour autant courantes.

 

Comme on peut aisément l’imaginer, ce serait trop beau (et pas vraiment humain) si nos processus mentaux et comportementaux avaient seulement des effets positifs. Comme toute chose faite avec excès, les formes d’auto-tromperies « bénéfiques » utilisées de manière exagérée finissent par être négatives.

Toute bonne intention réitérée à l’excès devient donc contreproductive avec des effets contraires à ceux souhaités.

 

Voici à présent quelques exemples d’auto-tromperie néfastes :

 

1/ Auto-tromperie de succès : elle découle de la conviction que, si une stratégie à laquelle on a eu recours dans une situation passée a fonctionnée, on peut légitimement croire que celle-ci va continuer à fonctionner si on l’applique aux autres problèmes de même type, quand bien même celle-ci s’avère inefficace dans la situation présente. Il s’agit d’une croyance rationnelle car elle découle d’un résultat déjà expérimenté. Dans ce cas notre mental nous ment, sur la base de la validité d’une stratégie expérimentée dans le passé, et ne peut envisager que cela ne puisse plus produire l’effet obtenu antérieurement. Pire, souvent la tendance est d’en rajouter une couche en pensant que si cette fois-ci ça ne fonctionne pas c’est parce qu’on ne l’a pas appliquée suffisamment, insistance qui bien évidemment empire la situation !

 

2/ Faire l'autruche :  Bien sur, ne voir que ce qui nous arrange et devenir aveugle pour ce qui nous dérange ou est douloureux permet d’atténuer la souffrance. Mais là aussi, si pratiqué à l’excès, cela conduit à faire l’autruche qui met la tête dans le sable pour ne pas voir le lion qui va la dévorer. Par exemple, un parent qui est le dernier à s’apercevoir que son ado consomme des substances dangereuses ou commet des actes délictueux. Mais aussi un amoureux (se) qui malgré certains signes évidents ne voit pas la trahison ou l’éloignement de son partenaire, ou encore une personne qui refuse de faire des examens médicaux par peur d’un pronostic négatif…

Cette tendance à faire l’autruche est fort courante dans la vie quotidienne car c’est une réaction fondée sur deux des émotions les plus archaïques qui soient, à savoir la peur et la douleur. 

 

3/ Convaincre les autres pour se convaincre soi même : il s’agit d’une manière subtile de se mentir à soi-même en inventant un mensonge sur des expériences vécues pour augmenter son propre attrait auprès des autres. Utilisée de manière répétée, cette stratégie finit par transformer le mensonge en vérité pour celui qui l’a créé, car la personne finit par oublier qu’elle a construit une fausse vérité. L’être humain a une grande capacité à se construire de véritables labyrinthes mentaux dans lesquels il peut souvent rester prisonnier. Il n’est pas rare dans la vie courante de rencontrer des personnes qui « se la raconte » pour se sentir mieux et « la raconte » aux autres pour se sentir meilleur et plus désirable.

 

Pour mémoire, les nombreuses études réalisées sur le mensonge confirment que dans 60% des cas les personnes mentent et que plus de la moitié de ces cas concernent le mensonge à soi même.

 

4/ Du jeu à la cruauté :  parmi les formes les plus dangereuses du mensonge vis à vis de soi même, il y a celle qui amène à se construire un rôle ou un personnage pour ensuite l’interpréter jusqu’à s’y identifier. Dans le passé cette forme d’auto tromperie était étiquetée comme étant de la pure folie, au même titre que le malade mental qui se croit être Jésus ou Napoléon ou le fou qui se prend pour le Messie et commet un massacre sur des personnes présumées de lui damnées.

 

D'autres études même assez récentes montrent comment des personnes à priori équilibrées peuvent se transformer en ravisseurs cruels ou en violents criminels. Par ailleurs, les phénomènes de groupe peuvent tout à fait illustrer ce passage de frontière entre le normal et le cruel.

 

Dans certaines conditions chacun pourrait se transformer en Dr Jekyll et Mister Hyde…

 

Ce qui doit nous amener à réfléchir ce ne sont pas tant ces cas particuliers lus dans les unes des journaux mais les dynamiques bien moins évidentes présentes en permanence dans la vie de tous les jours et qui provoquent des désastres personnels, professionnels et relationnels. Le fait de faire semblant d’être ce que l’on voudrait être n’est pas seulement un comportement infantile et digne d’un jeu, mais une attitude constante chez l’être humain qui doit être canalisée pour éviter de potentiels désastres.

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A cela s’ajoute toute la palette des classiques mécanismes de défense, tels que la négation, le refoulement, la sublimation, l'idéalisation, le clivage, le déni… autant de mécanismes psychologiques où le mental nous ment pour nous protéger, malgré le risque de développer ultérieurement différentes formes de pathologies psychiques.

 

Se mentir à soi-même est donc inévitable dans le dialogue avec soi. La plupart du temps il s’agit d’un mécanisme inconscient ou très rarement conscient mais qui une fois enclenché ne s’arrête pas aisément. Il est davantage question d’une réaction sans finalité stratégique dans ses intentions même si cela peut le devenir dans ses effets. Le risque se présente donc quand mentir à soi-même dépasse cette frontière de l’adaptation protectrice et des auto-tromperies bénéfiques.

 

Puisqu’il est impossible de ne pas se mentir et que tout est question d’équilibre à préserver, il apparaît pertinent d’envisager de mettre en actes, délibérément, des auto-tromperies fonctionnelles et stratégiques. Développer un art du mentir à soi même en acceptant l’idée de coexister avec nos ambivalences, nos contradictions et paradoxes, en appliquant des techniques adéquates et dans un but précis et ainsi faire en sorte que ce qui nous porte préjudice puisse au contraire nous venir en aide. Transformer une possible limite en une formidable ressource pour affronter les défis que la vie nous propose en permanence.

 

En synthèse : ce que nous ne pouvons éviter, rendons le utile !

 

L'Art de se mentir à soi-même et aux autres - Suite

Le mentir aux autres n’est pas en reste, avec toute une série de stratégies et stratagèmes mis en œuvre par celui qui sait qu’il ment.

 

Parmi les formes élémentaires de mensonges, la plus primitive mais souvent la plus efficace est celle consistant à nier l'évidence.

Combien d’entre nous n’y ont jamais succombé ? On en trouve en abondance dans les procès, l’histoire, la politique, les religions, la vie familiale, amoureuse…

 

Nous avons l'omission, souvent perçue avec plus d’indulgence que le mensonge. Omettre c’est manipuler l’information à son avantage.

 

La censure est depuis toujours l’instrument de contrôle de l’information des pouvoirs totalitaires. Nous la retrouvons également dans la sphère psychologique avec la « censure inconsciente » lorsque la personne efface une expérience trop douloureuse ou inconfortable par l’expression d’une symptomatologie psychologique.

 

L'omission, la négation de l'évidence et la censure sont à l’origine d’un des effets les plus terribles du mensonge : l’hypocrisie. C’est à dire un détachement émotif cynique de notre responsabilité dans ce qui se produit.

 

La désinformation, partout autour de nous, ou comment argumenter le faux en le rendant crédible. Désinformer équivaut à créer une information fausse assurément crédible, agrémentée de détails. Ce type de mensonge, en manipulant de façon malhonnête la communication, est si puissant dans ses effets que depuis des millénaires les professionnels de la communication sont recherchés et payés fort cher pour réaliser des actions de désinformation stratégique.

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L’art du mensonge se fonde sur le concept de la vraisemblance. Pour être considéré vrai, le faux doit être présenté avec une trame congruente, cohérente et toujours vraisemblable, enrichi de descriptions détaillées qui permettent à l’interlocuteur de s’identifier avec les personnages de la narration.

 

En effet notre mental est éduqué à chercher et à trouver de l’ordre dans les choses même quand il n’y en a pas. Nous avons tendance à « reconnaître » plutôt que connaître et découvrir. C’est pour cela que nous sommes plutôt enclins à accepter comme vrai tout ce qui est argumenté de façon conforme à notre fonctionnement.

 

Il nous est plus difficile de croire à une vérité qui ne respecte pas les critères logiques avec lesquels nous sommes éduqués qu’à un mensonge qui les respectent.

Par conséquent l’art de mentir nécessite d’exposer le faux de façon vraisemblable non seulement au niveau des descriptions mais également de la logique des évènements.

 

Une autre technique consiste à mélanger le vrai et le faux dans son discours. Des faits vérifiables avec d’autres totalement faux voire inventés. De cette façon la vérité contamine le faux en le rendant crédible.

 

Faire « comme si », en se calant émotionnellement au personnage jusqu’à s’y identifier et raconter l’histoire comme si nous l’avions réellement vécue. Une forme d’autosuggestion efficace pour faire en sorte que notre communication soit crédible car chargée de pathos. Lorsque le menteur ressent comme vrai son mensonge, il le transmet à son interlocuteur en activant chez lui les « neurones miroir » qui le rendront non seulement crédible mais aussi émotionnellement familier.

 

Mentir en disant la vérité, dire la vérité en mentant !

 

Le but ici n’était pas de faire l’éloge du mensonge et d’inciter à mentir, mais juste soulever le voile de ce qui compose notre activité relationnelle et sociale de tous les jours. N’oublions pas que dans la majorité des cas les effets sont positifs et nécessaires tant vis à vis de nous même que dans nos relations aux autres.

 

Comme l’affirme le Talmud : "Nous ne voyons pas les choses pour ce qu'elles sont, mais nous les voyons selon ce que nous sommes"

 

Article rédigé par Armelle SALIS

Source : L’arte di mentire a se stessi e agli altri – G. Nardone

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commentaires

D
Un grand merci pour ce résumé clair et bien structuré, vu que la traduction française n'a toujours pas parue, apparemment...<br /> <br /> J'étais au départ un peu choqué par la présentation de G Nardone disant que l'on ment à plus de 60% du temps, étant au départ un scientifique, et ne pouvant accorder aux chiffres qu'une validité dans le cas où le concept (unité de mesure) est totalement univoque, ce qui n'est pas le cas des concepts "mensonge" et "vérité" utilisés ici.<br /> <br /> Une sorte de mensonge au départ, par omission, de ne pas avoir dit combien relatives et floues sont les notions de mensonge et de vérité, et donc, totalement non quantifiables...<br /> <br /> Ce qui n'enlève rien du mérite de cette approche, mais est contre-publicitaire, je trouve...
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