Article paru dans l'Expansion il y a un certain temps déjà, mais le phénomène n'a fait que s'amplifier depuis. A lire!
L'usine à Coachs s'emballe....
Des dizaines d'écoles forment à prix d'or et à la va-vite des centaines de prétendus professionnels qui,faute de débouchés, deviennent à leur tour formateurs.
Vous voulez devenir coach ?
Désolé, la prochaine session est complète, mais je peux vous mettre sur liste d'attente. Au secrétariat du Desu de coaching, à l'université Paris VIII, on ne chôme pas. Le succès de ce diplôme d'études supérieures d'université est tel, depuis le lancement du cursus par le psychiatre Pierre Angel, en mars 2004, qu'il a fallu dédoubler les formations, confirme une responsable administrative, visiblement surprise de l'ampleur du phénomène : en deux ans plus de 600 stagiaires ont obtenu un beau parchemin universitaire.
Il ne leur est toutefois d'aucune utilité. Ces nouveaux diplômés - souvent des quadras en reconversion - se rendent vite à l'évidence : il n'y a pas de place pour eux sur le marché très encombré du coaching (à peine 130 millions d'euros de chiffre d'affaires, selon l'organisme SF Coach). Sur les 3 000 à 4 000 professionnels qui se partagent ce gâteau, quelques centaines seulement atteignent les 100 000 euros de chiffre d'affaires annuel. La grande majorité plafonne à 25 000 euros. Par nécessité ou par choix, ils mènent donc d'autres activités, comme le conseil ou, mieux, la formation.
Quelques malins ont en effet trouvé le bon filon : " Le coaching ne rapporte pas assez ? Les candidats continuent d'affluer par centaines ? Et si j'ouvrais ma propre école ? " Des dizaines de structures ont ainsi vu le jour. " Devenez coach certifié avec la Coach Académie ", lit-on dans les pages d'annonces du magazine Psychologies.
A côté, Leader Formation propose un apprentissage sur cinq jours. Quant à l'institut Coach Up, il invite le lecteur à une téléconférence gratuite. " En tout, j'ai recensé 43 écoles ", assure Joël Brugalières, président de la Société française de coaching (SF Coach). Même la plus prestigieuse des business schools françaises, HEC, s'y est mise. Au terme de dix modules de trois jours, le candidat obtient son Cesa de coaching. Cette école, " sélective et rigoureuse ", selon la plaquette, a déjà mis 130 coachs sur le marché. Coût d'un programme : 10 900 euros hors taxes.
Car toutes ces formations ont au moins un point commun : elles sont très chères. Si HEC bat tout le monde sur ce terrain-là, le cursus Coach & Team, lancé par Vincent Lenhardt, l'un des pionniers du coaching en France, coûte la bagatelle de 6 700 euros pour six modules de trois jours. Et 7 300 euros si l'on paie en quatre fois. Dans les autres écoles, les prix ne descendent jamais au-dessous de 4 000 euros. Pierre Blanc-Sahnoun, lui-même coach, démonte le mécanisme : " C'est un très bon filon. Il suffit de louer une salle, de se faire assister par un ou deux formateurs, et d'organiser dans l'année trois ou quatre sessions pour 25 stagiaires. A 5 000 euros la formation, ce sont 500 000 euros de chiffre d'affaires qui entrent dans les caisses. " Et presque autant de bénéfices. Mais pourquoi se limiter à 25 ? A Transformance, la société de Vincent Lenhardt, l'effectif grimpe jusqu'à 45 personnes. Rentable : " A partir de 40 élèves, une nouvelle inscription, c'est 100 % de marge ", commente Patrick Amar, auteur, avec Pierre Angel, de Coaching (PUF).
Que valent ces écoles ?
Coach depuis vingt-cinq ans, Olivier Devillard a créé son institut, l'Ifod, en 1991. Bien avant la " folie coaching " des années 2000. Le regard qu'il pose sur ses confrères est sévère. " Quelques écoles, les plus anciennes, ont développé de vraies méthodes de coaching, affirme-t-il. D'autres, profitant de la naïveté du marché, prétendent l'enseigner. En réalité, elles proposent de simples techniques de développement personnel, comme la gestalt [recherche du bien-être en travaillant sur les énergies, les émotions et les rêves]. Enfin, il y a celles qui vendent de la soupe. Le formateur met les élèves dans une pièce, il les fait parler de leurs problèmes, le groupe se soude autour de lui, tout le monde est content. Mais au bout du compte, qu'apprennent-ils ? "
Le contenu pédagogique de certaines officines laisse pantois. Organisé en modules de deux ou trois jours, traitant de sujets aussi larges que " Le coaching d'équipe " ou " Les outils du coach ", l'enseignement ressemble davantage à un parcours de découverte qu'à une formation qualifiante. Avis d'une ancienne praticienne : " Dans ces écoles, on assure par exemple aux stagiaires qu'en deux jours ils apprendront à manier la programmation neurolinguistique [technique de communication]. Mais c'est forcément superficiel : il faut au moins un an pour la maîtriser. "
Cofondateur du Dôjô, un centre d'apprentissage aux techniques de développement personnel, Bernard Hévin enseigne le coaching depuis 1990. " Nous sommes les seuls à avoir élaboré une véritable théorie pédagogique, prétend-il. J'aimerais bien que les autres écoles en fassent autant. Quand je vois que certains instituts proposent de devenir pro en une semaine, c'est n'importe quoi ! Il faut au moins trente jours de formation. "
C'est, effectivement, le standard des écoles dites " sérieuses ". Trente jours ouvrés, ce serait donc le temps nécessaire pour apprendre ce métier ? L'essentiel, précisent les praticiens, c'est le travail personnel que les élèves effectuent entre les modules d'apprentissage. Cette maturation, qui s'étire souvent sur huit ou neuf mois, leur permet de progresser. Vincent Lenhardt, qui se targue d'avoir formé " 1 000 coachs en quinze ans ", n'en est pas moins formel : " On ne devient pas coach en un an, il faut compter cinq années d'apprentissage. "
Trente jours ou cinq ans, personne ne cherche vraiment à trancher le débat. Les écoles continuent de délivrer des diplômes à leurs stagiaires. Donc de leur donner leur bénédiction pour commencer leur activité. Et cela s'explique facilement : des cursus trop longs décourageraient les postulants. Alors on compose. On sait parfaitement que ces programmes ne suffisent pas à devenir coach, mais on se garde bien de dire aux élèves qu'ils ne seront pas opérationnels à la sortie.
C'est qu'il ne faut pas tuer la poule aux oeufs d'or. Tout est fait pour ménager le client. Les procédures d'admission ? " On accepte souvent n'importe qui ", assène Pierre Blanc-Sahnoun. " Les conditions d'accès étaient prétendument très strictes, témoigne Didier Duffaut, ex-directeur commercial, qui vient de finir son diplôme de coach à l'université Paris VIII. Pour être accepté, il fallait justifier d'une solide expérience. Mais je me suis rendu compte qu'il y avait dans ma promotion des jeunes qui n'avaient jamais mis les pieds en entreprise. Quand je m'en suis étonné, l'un des intervenants m'a répondu qu'il fallait bien remplir les stages. " En guise de sélection, le Dôjô a choisi une autre voie : le stage d'initiation de deux jours, durant lesquels les formateurs présentent leur modèle pédagogique. Libre aux participants, ensuite, de s'engager plus loin. Précision d'importance, ce préambule coûte 525 euros. Juste pour voir, comme au poker.
Et en fin de cursus ?
Selon plusieurs témoignages, il faut vraiment faire preuve de mauvaise volonté pour se faire recaler. L'un des experts qui interviennent à Paris VIII nous a affirmé qu'il avait reçu des consignes strictes : pas plus de 10 % de refus dans les mémoires de fin de stage qu'il corrigeait...
Erreurs de jeunesse d'une profession qui se cherche ? Sans doute. Mais ces usines à coachs n'en continuent pas moins de tenir des discours mensongers. " Elles font croire aux élèves qu'ils pourront se faire payer 450 euros l'heure dans de grands groupes et qu'ils feront fortune, tempête Joël Brugalières. C'est le miroir aux alouettes. " Cette clientèle d'entreprises est en effet difficile à séduire. Les procédures de référencement des coachs sont de plus en plus strictes. Pour beaucoup, la ruée vers l'or risque donc de tourner court. " Ne trouvant pas de missions, les nouveaux venus cassent les prix ", s'inquiète Sylvie de Frémicourt, responsable de la commission coaching au Syntec.
Et si ces écoles commençaient par informer leurs élèves de la réalité du marché ? " On ne m'a jamais dit qu'il n'y avait pas de boulot à la sortie ", déclare Laurence Ansel, ancienne comédienne actuellement en formation au Dôjô. Réponse de Bernard Hévin : " C'est vrai que les gens ne s'imaginent pas qu'il faut prospecter pendant un an avant d'obtenir les premiers contrats. Je les mets en garde. Nous avons même créé un module pour leur apprendre à se vendre. " Pour 1 450 euros de plus.
Les quatre figures de proue de la profession
- ·Vincent Lenhardt : Le pionnier
Un millier de coachs ont été formés depuis 1989 par ce diplômé d'HEC.
La formation représente 40 % du chiffre d'affaires de sa société, Transformance. Une quinzaine d'ensei-gnants gravitent autour de lui. Ce qui multiplie d'autant le nombre de formations maison.
- · Joël Brugalières : le moralisateur
Discipliner une profession jeune et non réglementée, c'est l'ambition de l'actuel président de la Société française de coaching, qui a fait le ménage dans son association. De 700 membres, elle est passée à 140 " purs et durs ", sur la base de critères très stricts. " Et très psy, alors qu'il y a d'autres portes d'entrée au métier ", selon ses détracteurs.
- Sylvie de Frémicourt : l'antigourou
Elle dirige la commission coaching au Syntec. " En France, il y a les professionnels (dans les cabinets de conseil), les gourous, et une majorité d'amateurs, qui, une fois sortis de formation, cassent les prix et décrédibilisent le marché ", regrette-t-elle. Au moins, c'est clair.
- Pierre Angel : l'hyperactif
Ce psychiatre, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, a lancé le Desu de coaching de l'université Paris VIII en 2004. Il préside par ailleurs l'Association européenne de coaching, qui regroupe des coachs d'entreprise, mais s'ouvre aussi à d'autres courants, tel le life coaching, qui aide les particuliers à s'épanouir dans leur vie privée.